Le Point.fr
- Publié le 03/05/2012 à 19:07 - Modifié le 03/05/2012 à 19:16
La Cour de
cassation refuse d'entériner un nouveau cas de nullité qui aurait ouvert la
porte à une autorisation judiciaire de licencier. C'est un soulagement pour les
employeurs.
La jurisprudence n'ouvrira pas la porte à
une autorisation judiciaire des licenciements économiques, comme le craignaient
les directions d'entreprise.
Dans un arrêt très attendu par le monde
économique, la chambre sociale de la
Cour de cassation a invalidé la décision de la cour d'appel
de Paris annulant la procédure de licenciement engagée par l'éditeur de
logiciels Viveo pour défaut de motif économique (concernant 64 salariés) et
tous ses effets "subséquents", dont le PSE. "La validité du plan
social est indépendante de la cause du licenciement", a tranché la haute
juridiction. Qui a balayé en quelques lignes l'argumentation de la cour d'appel
consistant à dire que le défaut de motif économique des licenciements rendait
sans objet la consultation du CE et l'ensemble de la procédure de licenciement,
et que le PSE était alors dépourvu de fondement.
Pas de nullité sans texte
Viveo avait fait valoir, à
juste titre donc, qu'une telle décision sortait des clous du Code du
travail. En dehors de l'hypothèse où un PSE est nul parce qu'inexistant
ou insuffisant, le droit social ne prévoit pas l'annulation des
licenciements pour absence de motif économique, mais seulement
l'attribution de dommages et intérêts aux salariés concernés, avait-elle
objecté aux magistrats de la cour d'appel. Autrement dit, la nullité
des licenciements ne peut être prononcée que lorsque le juge constate
l'insuffisance ou l'inexistence d'un PSE (pour absence de mesures de
reclassement interne par exemple). Et d'ailleurs, le contrôle du juge
sur le motif de licenciement invoqué ne s'exerce en principe qu'après la
mise en oeuvre du plan social, ce qui n'était pas le cas ici, puisque
le CE a saisi le tribunal avant même que les licenciements ne soient
prononcés. "L'objectif était d'éviter que ces licenciements
n'interviennent en faisant juger la procédure nulle avant la
notification des ruptures", décrypte Stéphane Béal, avocat associé chez
Fidal
La Cour de cassation a donc cassé pour absence de texte,
une approche qui ne surprend pas les juristes. "La chambre sociale de la
Cour de cassation rappelle, dans la ligne de nombreux précédents, que
l'article L.1235-10 du Code du travail ne permet d'annuler une procédure
de licenciement pour motif économique qu'en cas d'absence ou
d'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi et que cette nullité ne
peut en conséquence être prononcée au motif que la cause économique du
licenciement n'est pas établie", souligne le communiqué de la haute
juridiction. "Cet arrêt me paraît très clair dans sa portée, puisqu'il a
pris la peine de distinguer le PSE et la cause économique se trouvant à
l'origine du PSE, dont l'absence n'ouvre droit qu'à des dommages et
intérêts au profit du salarié", commence l'avocat Pascal Guinot, associé
du cabinet Nixon Peabody. C'est ce que jugera probablement la cour
d'appel de Versailles devant laquelle l'affaire a été renvoyée.
Sur le plan économique, cette décision est saluée par les conseils d'entreprise qui craignaient que le juge ne s'immisce un peu trop dans les choix de gestion de l'employeur.
"Si la cour avait admis que la nullité du PSE devait s'étendre aux
licenciements intervenus ou à venir, on aurait indirectement permis au
juge d'interdire de licencier, souligne Stéphane Béal, associé du
cabinet Fidal. Et cette interdiction aurait touché de nombreuses
entreprises françaises
déficitaires appartenant à des groupes. Elles auraient été contraintes
de demander aux autres entreprises du groupe de continuer à financer
leur structure dont on refuse les licenciements en France."
Modifier la loi ?
La
décision de la Cour de cassation est une mauvaise nouvelle pour les
salariés de Sodimedical (groupe Lohmann et Rauscher) et d'Ethicon
(groupe Jonhson & Johnson), dont les PSE ont été annulés en justice
pour absence de motif économique de licenciement. Ethicon (PSE de 350
salariés) "ne connaît pas de difficultés économiques" et le groupe
auquel l'entreprise est intégrée est "florissant", avait souligné le TGI
de Nanterre (jugement du 21/10/2011). Même raisonnement tenu par la CA
de Reims dans l'affaire Sodimedical où les licenciements de 52 salariés
ont été annulés. "L'arrêt est suffisamment clair pour répondre par
avance aux argumentations développées dans ces affaires, présume
Stéphane Béal. Le pourvoi de l'entreprise ira jusqu'au bout et devrait
logiquement aboutir au même résultat." D'autant que la Cour de cassation
a tenu ici à souligner l'importance de cette affaire en donnant le
maximum de publicité à son arrêt. "Celui-ci est non seulement commenté
dans son futur rapport annuel, mais figure sur son site avec un
communiqué, ce qui est rare", note Me Béal.
Du côté des salariés, le défenseur du CE de Viveo, Me Philippe Brun,
appelle de ses vœux un changement de législation : "Le futur président
de la République est invité à clarifier les textes en indiquant
clairement qu'en l'absence de cause économique à la procédure de
licenciement, cette procédure est nulle et de nul effet ", a-t-il
déclaré en réaction à la décision du 3 mai. Interrogé sur le syndicat
des avocats d'entreprises Avosial, François Hollande
avait souligné que "la législation actuelle sur le motif économique de
licenciement et sur les PSE répondait de façon assez satisfaisante à
l'essentiel des situations en cause". Sous réserve d'un bémol :
"Lorsqu'une décision de pure convenance est susceptible d'avoir des
conséquences aussi graves sur les salariés, pour l'emploi et pour des
territoires, il ne peut être toléré que la seule conséquence soit
l'indemnisation des travailleurs en cause. La puissance publique doit
alors pouvoir faire respecter l'intérêt général." Le débat est donc loin
d'être clos.
Laurence NEUER