jeudi 10 mai 2012

Le Point.fr - Publié le 03/05/2012 à 19:07 - Modifié le 03/05/2012 à 19:16

La Cour de cassation refuse d'entériner un nouveau cas de nullité qui aurait ouvert la porte à une autorisation judiciaire de licencier. C'est un soulagement pour les employeurs. 



La jurisprudence n'ouvrira pas la porte à une autorisation judiciaire des licenciements économiques, comme le craignaient les directions d'entreprise. 
Dans un arrêt très attendu par le monde économique, la chambre sociale de la Cour de cassation a invalidé la décision de la cour d'appel de Paris annulant la procédure de licenciement engagée par l'éditeur de logiciels Viveo pour défaut de motif économique (concernant 64 salariés) et tous ses effets "subséquents", dont le PSE. "La validité du plan social est indépendante de la cause du licenciement", a tranché la haute juridiction. Qui a balayé en quelques lignes l'argumentation de la cour d'appel consistant à dire que le défaut de motif économique des licenciements rendait sans objet la consultation du CE et l'ensemble de la procédure de licenciement, et que le PSE était alors dépourvu de fondement.  

Pas de nullité sans texte

Viveo avait fait valoir, à juste titre donc, qu'une telle décision sortait des clous du Code du travail. En dehors de l'hypothèse où un PSE est nul parce qu'inexistant ou insuffisant, le droit social ne prévoit pas l'annulation des licenciements pour absence de motif économique, mais seulement l'attribution de dommages et intérêts aux salariés concernés, avait-elle objecté aux magistrats de la cour d'appel. Autrement dit, la nullité des licenciements ne peut être prononcée que lorsque le juge constate l'insuffisance ou l'inexistence d'un PSE (pour absence de mesures de reclassement interne par exemple). Et d'ailleurs, le contrôle du juge sur le motif de licenciement invoqué ne s'exerce en principe qu'après la mise en oeuvre du plan social, ce qui n'était pas le cas ici, puisque le CE a saisi le tribunal avant même que les licenciements ne soient prononcés. "L'objectif était d'éviter que ces licenciements n'interviennent en faisant juger la procédure nulle avant la notification des ruptures", décrypte Stéphane Béal, avocat associé chez Fidal

La Cour de cassation a donc cassé pour absence de texte, une approche qui ne surprend pas les juristes. "La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle, dans la ligne de nombreux précédents, que l'article L.1235-10 du Code du travail ne permet d'annuler une procédure de licenciement pour motif économique qu'en cas d'absence ou d'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi et que cette nullité ne peut en conséquence être prononcée au motif que la cause économique du licenciement n'est pas établie", souligne le communiqué de la haute juridiction. "Cet arrêt me paraît très clair dans sa portée, puisqu'il a pris la peine de distinguer le PSE et la cause économique se trouvant à l'origine du PSE, dont l'absence n'ouvre droit qu'à des dommages et intérêts au profit du salarié", commence l'avocat Pascal Guinot, associé du cabinet Nixon Peabody. C'est ce que jugera probablement la cour d'appel de Versailles devant laquelle l'affaire a été renvoyée. 

Sur le plan économique, cette décision est saluée par les conseils d'entreprise qui craignaient que le juge ne s'immisce un peu trop dans les choix de gestion de l'employeur. "Si la cour avait admis que la nullité du PSE devait s'étendre aux licenciements intervenus ou à venir, on aurait indirectement permis au juge d'interdire de licencier, souligne Stéphane Béal, associé du cabinet Fidal. Et cette interdiction aurait touché de nombreuses entreprises françaises déficitaires appartenant à des groupes. Elles auraient été contraintes de demander aux autres entreprises du groupe de continuer à financer leur structure dont on refuse les licenciements en France." 


Modifier la loi ?

La décision de la Cour de cassation est une mauvaise nouvelle pour les salariés de Sodimedical (groupe Lohmann et Rauscher) et d'Ethicon (groupe Jonhson & Johnson), dont les PSE ont été annulés en justice pour absence de motif économique de licenciement. Ethicon (PSE de 350 salariés) "ne connaît pas de difficultés économiques" et le groupe auquel l'entreprise est intégrée est "florissant", avait souligné le TGI de Nanterre (jugement du 21/10/2011). Même raisonnement tenu par la CA de Reims dans l'affaire Sodimedical où les licenciements de 52 salariés ont été annulés. "L'arrêt est suffisamment clair pour répondre par avance aux argumentations développées dans ces affaires, présume Stéphane Béal. Le pourvoi de l'entreprise ira jusqu'au bout et devrait logiquement aboutir au même résultat." D'autant que la Cour de cassation a tenu ici à souligner l'importance de cette affaire en donnant le maximum de publicité à son arrêt. "Celui-ci est non seulement commenté dans son futur rapport annuel, mais figure sur son site avec un communiqué, ce qui est rare", note Me Béal. 

Du côté des salariés, le défenseur du CE de Viveo, Me Philippe Brun, appelle de ses vœux un changement de législation : "Le futur président de la République est invité à clarifier les textes en indiquant clairement qu'en l'absence de cause économique à la procédure de licenciement, cette procédure est nulle et de nul effet ", a-t-il déclaré en réaction à la décision du 3 mai. Interrogé sur le syndicat des avocats d'entreprises Avosial, François Hollande avait souligné que "la législation actuelle sur le motif économique de licenciement et sur les PSE répondait de façon assez satisfaisante à l'essentiel des situations en cause". Sous réserve d'un bémol : "Lorsqu'une décision de pure convenance est susceptible d'avoir des conséquences aussi graves sur les salariés, pour l'emploi et pour des territoires, il ne peut être toléré que la seule conséquence soit l'indemnisation des travailleurs en cause. La puissance publique doit alors pouvoir faire respecter l'intérêt général." Le débat est donc loin d'être clos. 

Laurence NEUER