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Décryptage de l'arrêt Vivéo
par Pierre Bailly, magistrat à la Cour de cassation
Interrogé
par la rédaction de Liaisons Sociales Quotidien sur la motivation et la portée
de l’arrêt Vivéo du 3 mai, Pierre Bailly, conseiller doyen de la chambre
sociale de la Cour
de cassation, estime que seul le législateur pourrait étendre le champ de la
réintégration aux cas où la cause économique du licenciement n’est pas établie.
La jurisprudence de la
Cour laissait-elle présager la cassation de l’arrêt de la
cour d’appel de Paris ?
Pierre
Bailly : Cette affaire posait
la double question de l’étendue du contrôle que peut exercer le juge lorsqu’il est
saisi d’une contestation portant sur la valeur du plan de sauvegarde de
l’emploi mis en place en prévision de licenciements collectifs pour motif
économique et de la conséquence qui s’attache à une absence éventuelle de cause
économique propre à justifier ce projet.
Or, à cet égard,
la chambre sociale a toujours fait une différence entre, d’une part, le
contrôle de la valeur d’un plan social au regard des exigences de l’article L.
1233-61 du Code du travail, qui peut entraîner l’annulation de la procédure de
licenciement, et des licenciements eux-mêmes et, d’autre part, la vérification
de la cause économique du licenciement, dont l’absence ouvre droit à
l’indemnisation prévue par l’article L. 1235-3 de ce code (Cass. soc., 12
novembre 1996, n° 94-21.994).
C’est ce que
disait déjà un arrêt, parmi d’autres : « Il n’appartient pas au juge saisi
d’une demande d’annulation du plan social en raison de son insuffisance ou
d’irrégularités affectant la procédure de consultation de vérifier ou
d’apprécier dans le cadre de cette action les motifs économiques invoqués par
l’employeur » (Cass. soc., 25 octobre 2006, n° 04-19.845).
Autrement dit,
pour la chambre sociale, le contrôle de la validité du plan de sauvegarde de
l’emploi est distinct de l’appréciation que le juge peut porter sur la cause du
licenciement.
En quoi les textes s’opposaient-ils à l’extension de la sanction de
la nullité en l’absence de cause économique ?
Pierre
Bailly : Cette position trouve
son fondement dans le choix fait, en 1993, par le législateur de ne sanctionner
des licenciements économiques par la nullité qu’en cas d’absence de plan,
situation à laquelle la jurisprudence a assimilé ensuite l’insuffisance du plan
social (Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-10.350). Cette approche restrictive
de la nullité du licenciement pour motif économique a été ensuite confirmée par
les lois du 17 janvier 2002 et du 18 janvier 2005, et l’actuel article L.
1235-11 du Code du travail rappelle ainsi que la réintégration de salariés
licenciés pour motif économique n’est possible que lorsque la procédure de
licenciement est nulle, conformément aux dispositions du 1er alinéa de
l’article L. 1235-10, lequel réserve cette nullité à la seule absence de plan
de reclassement. Il faut y voir une conséquence de l’importance qui était alors
accordée au plan social, comme moyen privilégié d’éviter des licenciements ou
d’en réduire le nombre, à la faveur des mesures de reclassement qu’il doit
contenir.
La nullité liée à l’absence de cause économique ne pouvait-elle pas
être déduite de l’esprit de la loi ?
Pierre
Bailly :
Pour contourner cette limitation légale du champ de la nullité, la cour d’appel
de Paris avait d’abord retenu qu’en sanctionnant par la nullité l’absence de
plan social, le législateur avait nécessairement entendu permettre l’annulation
d’une procédure de licenciement mise en œuvre sans qu’il existe de cause
économique.
Elle a aussi
considéré qu’une absence de cause économique prive d’effet une telle procédure,
conduite en dehors de la situation voulue par la loi et à ce titre illicite.
Cependant, cette
orientation audacieuse se heurte à la volonté du législateur telle qu’il l’a
exprimée dans la loi. Celle-ci est en effet le résultat d’un arbitrage entre la
liberté d’entreprendre et le droit à l’emploi, et dans sa décision du 12
janvier 2002 , relative à la loi de modernisation sociale, le Conseil
constitutionnel, pour écarter le grief d’inconstitutionnalité adressé à une
disposition qui obligeait l’employeur à conclure un accord de réduction du
temps de travail avant d’établir un PSE, a relevé que le champ de la nullité du
licenciement et de la réintégration en résultant était légalement limité à la
seule absence de plan, en l’absence de disposition expresse étendant le domaine
de cette nullité. En se référant à la nécessité pour l’employeur de respecter
les prescriptions légales, la cour d’appel entendait peut-être faire référence
à une cause illicite constituée par l’établissement d’un plan sans qu’une
raison économique le justifie. Mais une telle approche devrait alors entraîner
aussi la nullité de tous les licenciements dépourvus de cause réelle, alors que
tel n’est pas le choix du législateur, à la différence des dispositions
retenues dans d’autres législations étrangères.
Le droit à réintégration est donc subordonné à une modification
législative ?
Pierre
Bailly :
On sait en effet que, hors absence ou insuffisance du PSE, l’absence de cause
économique de licenciement n’est légalement sanctionnée que par l’allocation de
dommages-intérêts. Seul le législateur pourrait donc, à l’instar de ce qui
existe dans d’autres législations étrangères, étendre le champ de la
réintégration aux cas où la cause économique du licenciement n’est pas établie.
Liaisons
Sociales Quotidien, 07/05/2012