RÉCITLibération
Cette prof d’éducation religieuse d’une école privée a perdu son emploi après sa séparation, jugée incompatible avec son activité.
Sylvie
Lefort a préparé des notes pour ne rien oublier. Le pense-bête trône
sur les dossiers dans lesquels son histoire est consignée. Dans son
appartement parisien, cette femme de 54 ans s’apprête à raconter comment
son divorce lui a fait perdre son travail. Et pourquoi son employeur,
un organisme de gestion de l’enseignement catholique, a été condamné
pour harcèlement moral. «Il y a des choses qui doivent être dites», lâche-t-elle.
Paria. En 2008, Sylvie Lefort est responsable de catéchèse dans une école catholique privée de Saint-Germain-en-Laye lorsqu’elle entame une procédure de divorce. L’information, censée rester privée, fait vite le tour de l’établissement. Jusqu’alors appréciée pour son travail et bien intégrée dans l’équipe encadrante, la salariée devient paria. Son supérieur - un prêtre - lui demande d’annoncer publiquement son divorce à ses collègues pour «faciliter l’ambiance», devenue irrespirable depuis que le bruit court. Elle refuse. Sylvie Lefort n’est pas du genre à céder. Sa liberté, elle la tient de son éducation. Issue d’une famille de hauts magistrats, elle a étudié le droit à Sciences-Po, la théologie, et a suivi des cours à l’école du Louvre. Un bagage intellectuel qui explique son ouverture d’esprit, sans pour autant entrer en contradiction avec sa foi. «Inconcevable», pour elle à l’époque, d’envisager que cette «cabale» soit une conséquence de sa séparation. Bannie de sa famille religieuse pour avoir divorcé. En 2010. Si elle n’ose l’imaginer, c’est aussi parce que les pressions exercées sont insidieuses : «Mon bureau a été visité, ma feuille de paye ouverte, on a coupé l’électricité dans ma salle de classe, mes projets éducatifs étaient rejetés…» énumère-t-elle. Mais jamais d’explications.
La période qu’elle traverse, compliquée sur le plan personnel, l’empêche de se poser trop de questions. «Ils ont voulu m’évincer», dit-elle simplement. «Ils» ont réussi. Après presqu’un an de harcèlement, elle craque et se retrouve en arrêt maladie. Derrière ses lunettes en écaille, elle parcourt les documents étalés devant elle, à la recherche de précisions. «Pressions et malmenage», lit-elle sur un certificat médical. «Hypertension, eczéma…», indique un autre. Le diagnostic tombe : «Harcèlement moral professionnel suite à son divorce», écrit son médecin, à l’époque.
Après des mois sans travailler, Sylvie Lefort est déclarée inapte à reprendre tout poste à Saint-Erembert - l’école où elle exerce - «en raison du danger immédiat pour la salariée». Trois semaines plus tard, l’établissement la licencie pour inaptitude. L’affaire se règle aux prud’hommes. Le jugement, prononcé en 2012, reconnaît des «faits […] intervenus concomittamment au changement de situation familiale de Mme Lefort, et plus précisément sa procédure de divorce», et indique que «l’employeur a méconnu ses obligations en matière de santé face à une situation de harcèlement moral». Le licenciement est déclaré nul et la victime reçoit 6 000 euros de dommages et intérêts.
Critères. Sylvie Lefort a mis du temps avant de parler. Puis le climat des derniers mois autour du mariage pour tous ou d’une prétendue théorie du genre l’ont décidée à sortir du silence. Pendant l’affaire, médecins et avocats lui avaient pourtant conseillé de le faire. Elle pensait - à tort - être un cas isolé. Puis une anecdote lui est revenue. Avant sa séparation, une mère d’élève s’était confiée : «Elle divorçait et m’a dit être prête à renoncer à enseigner la catéchèse si l’Eglise le lui demandait, raconte la mère de trois filles. Elle connaissait la punition à laquelle un divorce l’exposait.» Troublante, cette règle d’un autre âge n’en est pas moins assumée. Un texte validé en 2007 par l’enseignement catholique définit la fonction d’adjoint en pastorale, un poste proche de celui qu’occupait Sylvie Lefort : le salarié doit avoir un «état de vie compatible avec l’enseignement de l’Eglise catholique», c’est-à-dire être marié ou célibataire.
Que l’Eglise soit contre le divorce n’est pas une surprise. Qu’elle fasse de la situation familiale un critère de recrutement est, peut-être, plus gênant, d’autant que le code du travail interdit toute forme de discrimination. La notion d’«entreprise de tendance» autorise cependant les sociétés reposant sur une doctrine à exiger que celle-ci soit parfaitement respectée par le personnel. Joseph Herveau, responsable national de l’animation pastorale pour l’enseignement catholique, confirme que le lien matrimonial peut être décisif pour les salariés, même si, selon lui, c’est le remariage qui pose problème, plutôt que le divorce : «Très clairement, on n’embaucherait pas une personne divorcée et remariée.» Sylvie Lefort, toujours très pieuse, a pris ses distances avec l’institution. «L’Eglise est prête à broyer l’être humain s’il sort de son sillon, tranche-t-elle. Et je pèse mes mots.» Elle compare la puissance du réseau ecclésiastique à une toile d’araignée et reste convaincue que l’augmentation anormale des frais de scolarité de sa plus jeune fille, inscrite loin de Saint-Erembert, n’est pas le fruit du hasard. «Tout se sait, affirme-t-elle. Si vous bougez un membre, la toile entière se ressert sur vous.» Observer cette tendance au repli sur soi a donné à Sylvie Lefort envie de s’exprimer. Tout comme voir l’évolution de la carrière du père Picart (1), son supérieur à l’époque, mentionné dans le jugement des prud’hommes. Depuis l’affaire, il a été élu supérieur général de l’Oratoire de France, la fonction la plus prestigieuse au sein de la congrégation dont dépend Saint-Erembert.
Photo Bruno Charoy
(1) Il n’a pas souhaité répondre aux questions de Libération.
Paria. En 2008, Sylvie Lefort est responsable de catéchèse dans une école catholique privée de Saint-Germain-en-Laye lorsqu’elle entame une procédure de divorce. L’information, censée rester privée, fait vite le tour de l’établissement. Jusqu’alors appréciée pour son travail et bien intégrée dans l’équipe encadrante, la salariée devient paria. Son supérieur - un prêtre - lui demande d’annoncer publiquement son divorce à ses collègues pour «faciliter l’ambiance», devenue irrespirable depuis que le bruit court. Elle refuse. Sylvie Lefort n’est pas du genre à céder. Sa liberté, elle la tient de son éducation. Issue d’une famille de hauts magistrats, elle a étudié le droit à Sciences-Po, la théologie, et a suivi des cours à l’école du Louvre. Un bagage intellectuel qui explique son ouverture d’esprit, sans pour autant entrer en contradiction avec sa foi. «Inconcevable», pour elle à l’époque, d’envisager que cette «cabale» soit une conséquence de sa séparation. Bannie de sa famille religieuse pour avoir divorcé. En 2010. Si elle n’ose l’imaginer, c’est aussi parce que les pressions exercées sont insidieuses : «Mon bureau a été visité, ma feuille de paye ouverte, on a coupé l’électricité dans ma salle de classe, mes projets éducatifs étaient rejetés…» énumère-t-elle. Mais jamais d’explications.
La période qu’elle traverse, compliquée sur le plan personnel, l’empêche de se poser trop de questions. «Ils ont voulu m’évincer», dit-elle simplement. «Ils» ont réussi. Après presqu’un an de harcèlement, elle craque et se retrouve en arrêt maladie. Derrière ses lunettes en écaille, elle parcourt les documents étalés devant elle, à la recherche de précisions. «Pressions et malmenage», lit-elle sur un certificat médical. «Hypertension, eczéma…», indique un autre. Le diagnostic tombe : «Harcèlement moral professionnel suite à son divorce», écrit son médecin, à l’époque.
Après des mois sans travailler, Sylvie Lefort est déclarée inapte à reprendre tout poste à Saint-Erembert - l’école où elle exerce - «en raison du danger immédiat pour la salariée». Trois semaines plus tard, l’établissement la licencie pour inaptitude. L’affaire se règle aux prud’hommes. Le jugement, prononcé en 2012, reconnaît des «faits […] intervenus concomittamment au changement de situation familiale de Mme Lefort, et plus précisément sa procédure de divorce», et indique que «l’employeur a méconnu ses obligations en matière de santé face à une situation de harcèlement moral». Le licenciement est déclaré nul et la victime reçoit 6 000 euros de dommages et intérêts.
Critères. Sylvie Lefort a mis du temps avant de parler. Puis le climat des derniers mois autour du mariage pour tous ou d’une prétendue théorie du genre l’ont décidée à sortir du silence. Pendant l’affaire, médecins et avocats lui avaient pourtant conseillé de le faire. Elle pensait - à tort - être un cas isolé. Puis une anecdote lui est revenue. Avant sa séparation, une mère d’élève s’était confiée : «Elle divorçait et m’a dit être prête à renoncer à enseigner la catéchèse si l’Eglise le lui demandait, raconte la mère de trois filles. Elle connaissait la punition à laquelle un divorce l’exposait.» Troublante, cette règle d’un autre âge n’en est pas moins assumée. Un texte validé en 2007 par l’enseignement catholique définit la fonction d’adjoint en pastorale, un poste proche de celui qu’occupait Sylvie Lefort : le salarié doit avoir un «état de vie compatible avec l’enseignement de l’Eglise catholique», c’est-à-dire être marié ou célibataire.
Que l’Eglise soit contre le divorce n’est pas une surprise. Qu’elle fasse de la situation familiale un critère de recrutement est, peut-être, plus gênant, d’autant que le code du travail interdit toute forme de discrimination. La notion d’«entreprise de tendance» autorise cependant les sociétés reposant sur une doctrine à exiger que celle-ci soit parfaitement respectée par le personnel. Joseph Herveau, responsable national de l’animation pastorale pour l’enseignement catholique, confirme que le lien matrimonial peut être décisif pour les salariés, même si, selon lui, c’est le remariage qui pose problème, plutôt que le divorce : «Très clairement, on n’embaucherait pas une personne divorcée et remariée.» Sylvie Lefort, toujours très pieuse, a pris ses distances avec l’institution. «L’Eglise est prête à broyer l’être humain s’il sort de son sillon, tranche-t-elle. Et je pèse mes mots.» Elle compare la puissance du réseau ecclésiastique à une toile d’araignée et reste convaincue que l’augmentation anormale des frais de scolarité de sa plus jeune fille, inscrite loin de Saint-Erembert, n’est pas le fruit du hasard. «Tout se sait, affirme-t-elle. Si vous bougez un membre, la toile entière se ressert sur vous.» Observer cette tendance au repli sur soi a donné à Sylvie Lefort envie de s’exprimer. Tout comme voir l’évolution de la carrière du père Picart (1), son supérieur à l’époque, mentionné dans le jugement des prud’hommes. Depuis l’affaire, il a été élu supérieur général de l’Oratoire de France, la fonction la plus prestigieuse au sein de la congrégation dont dépend Saint-Erembert.
Photo Bruno Charoy
(1) Il n’a pas souhaité répondre aux questions de Libération.
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